De Thomas Cook à la folie Toutankhamon, l’hôtel mythique de la Belle Époque.
La balade incontournable, celle que aucun voyageur à Louxor ne saurait manquer, est une promenade sur la Corniche, au coucher du soleil ou à la lumière du matin. C’est là que vous tomberez sous le charme du Winter Palace, un somptueux palace de style édouardien.

Construit en 1907, cet hôtel légendaire a accueilli les plus grands noms de l’histoire : Agatha Christie, Winston Churchill, et l’égyptologue Howard Carter peu après sa stupéfiante découverte de la tombe de Toutankhamon.
Mais connaissez-vous l’histoire secrète du Winter Palace ? Saviez-vous qu’elle est intimement liée à l’épopée de Thomas Cook, le pionnier du voyage organisé ? Au lendemain de l’inauguration du canal de Suez, la « mise en tourisme » de l’Égypte par ce visionnaire va définitivement contribuer, avec les grandes découvertes archéologiques, à changer le visage du pays et de Louxor.
Suivez-moi, je vous ramène tout droit vers la Belle Époque !
- L’épopée de Thomas Cook en Égypte : la révolution du voyage organisé
- L’inauguration du Winter Palace : rectification historique
- L’architecture du Winter Palace, un joyau édouardien
- Le Winter Palace, l’hôtel des têtes couronnées et des célébrités
- La fièvre Toutankhamon : comment la découverte a propulsé le Winter Palace
- Quelques témoignages d’époque: entre enchantement et critique du tourisme de masse
- Le Winter Palace aujourd’hui : entre héritage historique et expérience accessible
- Sources
L’épopée de Thomas Cook en Égypte : la révolution du voyage organisé
Si le Winter Palace est devenu un palace légendaire, c’est précisément parce qu’il a été bâti pour couronner l’œuvre d’un visionnaire : Thomas Cook. Pour comprendre la naissance de cet hôtel, il faut revenir à la révolution du voyage organisé qu’il a initiée en Égypte.

Thomas Cook et la révolution des steamers sur le Nil
L’histoire du voyage organisé débute en Angleterre. Après avoir rendu l’Europe et l’Amérique accessibles à ses compatriotes, Thomas Cook saisit l’opportunité de l’inauguration du canal de Suez. Si Thomas Cook n’invente pas les croisières sur le Nil – qui se faisaient alors lentement à la voile sur des dahabiehs réservées à une élite – il les révolutionne.
Dès 1869, il organise la première croisière sur le Nil en steamer à vapeur. Cette innovation réduit un voyage de plusieurs mois à une expédition confortable de une à deux semaines, marquant les prémices du tourisme de masse.

Le monopole de Thomas Cook et la démocratisation du voyage en Egypte
En 1871, une agence « Thomas Cook & son » s’installe au Caire. Le contexte politique joue en sa faveur : après la mise sous protectorat britannique de l’Égypte en 1876, la région est sécurisée. Le gouvernement égyptien, voyant l’intérêt économique, accorde à Thomas Cook le monopole des croisières à la vapeur sur le Nil en 1880. Une flotte de steamers modernes est acheminée d’Écosse en 1885. En à peine vingt ans, Thomas Cook a démocratisé le Nil – surnommé le « canal de Cook » – le rendant accessible à la bourgeoisie anglaise.

(Photo : archives Thomas Cook)

La liaison ferroviaire entre Le Caire et le Sud (Louxor et Assouan) en 1897 entraîne un accroissement important du flux touristique.

photo: R. Shehata dans egyptroyalty.net
Pour vous immerger dans l’atmosphère unique de ces croisières historiques, imaginez-vous à bord d’un de ces steamers légendaires. Le SS Sudan, mis à l’eau en 1885, est l’un des derniers bateaux à vapeur navigant sur le Nil (opéré aujourd’hui par « Voyageurs du Monde ») et un témoin précieux de la Belle Époque. Il a d’ailleurs inspiré Agatha Christie pour son célèbre roman Mort sur le Nil et a servi de décor au tournage des films inspirés du Roman.
Cette vidéo vous permettra de vous faire une idée précise de l’expérience qu’offraient ces navires au temps de Thomas Cook : l’élégance des ponts en bois, le charme des cabines d’époque et la douceur de vivre qui caractérisaient ces voyages.
Le mépris de l’élite pour les steamers de Thomas Cook
Ce développement ne plait guère à l’élite de l’époque (nobles, officiers, diplomates et intellectuels) qui jusque là s’arrogeait le privilège de remonter la fleuve.
Laurent Laporte (« L’Égypte à la voile ») exprime avec verve le mépris de l’élite voyageuse pour les bateaux à vapeur qui viennent » gâter ses paysages » :
Tout à coup le fleuve se replie. et, au tournant qui se présente, un grand bateau à vapeur débouche orgueilleusement. Il passe fièrement sans même nous regarder. D’ailleurs, notre petite voile est fière aussi; elle a naturellement le plus grand mépris pour ces grandes machines hurlantes, siflantes, fumantes, toujours essoufflées, qui voyagent avec grand fracas, mais sans aventures et sans agrément.
Nous les accusons de troubler notre calme, d’agiter notre Nil, de ternir notre ciel, de gâter nos paysages, d’épouvanter les crocodiles et d’effaroucher les muses.
Autant il y a de la poésie dans la pauvre petite voile qui s’en va humblement, sans bruit, sans fumée, d’une manière beaucoup moins directe, beaucoup moins rapide, mais beaucoup plus charmante, autant ces grandes machines sont prosaïques et odieuses avec leur vitesse, leur confortable, leur cheminée peinte en rouge et leur coque vernie.
Le bateau à voile navigue dans l’antiquité, vogue dans le passé, surtout dans cette vieille vallée du Nil, qui est pour ainsi dire l’antique berceau du genre humain. Le bateau à vapeur chemine dans le tourbillon moderne, il représente le progrès, la spéculation, la hâte, le tapage. Le bateau à voile, c’est la vieille navigation qui croit encore aux fables qui aime l’imprévue et espère des aventures.
Cette épopée vous a passionne ? Pour prolonger votre voyage dans le temps, nous vous invitons à découvrir l’article consacré aux dahabiehs, ces voiliers traditionnels qui ont écrit les premières pages du tourisme sur le Nil bien avant l’ère des steamers. Plongez dans l’atmosphère intime et authentique des croisières des voyageurs du XIXème siècle.
L’âge d’or des croisières à la voile sur le Nil
La naissance des palaces hôteliers pour une clientèle nouvelle
Cette démocratisation ne se fait pas sans heurts. L’élite de l’époque, qui s’arrogeait le privilège de voyager sur des dahabiehs privées et de passer l’hiver Egypte, voit d’un mauvais œil cette arrivée massive de nouveaux touristes.
Pour répondre aux exigences de cette clientèle fortunée tout en gérant le flux des nouveaux venus issus de la bonne bourgeoisie, Thomas Cook entame une ambitieuse campagne de construction d’hôtels de luxe tout le long du Nil.
Le premier hôtel construit à Louxor fut le « Luxor Hotel » en 1877. Il fut rapidement suivi par d’autres palaces comme le « Savoy » et le « Karnak Hotel« . Mais aucun ne parviendra à éclipser le chef-d’œuvre qui allait couronner cette ambition et symboliser l’âge d’or du voyage : le Winter Palace. A l’exception peut-être le Old Cataract d’Assouan, autre chantier pharaonique entrepris sous l’influence de Cook.


Source : « Memories from the past Luxor « ,Gaddis & co, 1999

source : S. Barsoum dans egyptroyalty.net
L’inauguration du Winter Palace : rectification historique
La date d’ouverture du Winter Palace est souvent sujette à confusion. Contrairement à ce que clame erronément le site web de l’hôtel, le palace n’a pas été inauguré en 1886 (date de début des travaux), mais bien le 19 janvier 1907. Cette date marque l’entrée dans l’histoire de l’un des plus grands palaces de la Belle Époque en Égypte.
Pour célébrer cet événement, une journée fastueuse est organisée, parfait reflet de l’esprit de l’époque. Les invités de marque eurent le privilège de vivre une expérience unique : un pique-nique dans l’emblématique Vallée des Rois, suivi d’un dîner de gala au sein du tout nouveau Winter Palace.
Article de « l’Egyptian Gazette » du 21-01-1907.
« Winter Palace Hotel
Nouvel établissement hôtelier à Louxor
Les festivités d’inauguration au New Winter Palace ont été menées avec une telle maestria que tout un chacun s’étant vu offrir d’y prendre part est rempli de regret à leur clôture.
Le programme incluait la visite de la fameuse Vallée des Rois, pour ceux qui s’en sentaient l’énergie. Tandis qu’un lunch plus que parfait était servi à ceux qui préféraient passer leur matinée à explorer les différents centres d’intérêt des environs immédiats.
Durant l’après-midi, les travailleurs ayant consciencieusement contribué à la construction de l’hôtel furent rassemblés dans les jardins encore en travaux, à l’arrière de l’hôtel. Ils y ont reçu la récompense de leur labeur sous la forme des discours particulièrement élogieux de Mr E.A. Harrison et Mr Spienon ainsi que quelques substantielles gratifications (…)
(…) L’heure du dîner était fixée à 19.30 et le restaurant, brillamment illuminé et décoré avec goût, fut bientôt bondé d’invités.
Une longue table en L était occupée par des notables du Caire et de ses environs ainsi que des représentants de la presse (…)
(…) Discours, danse, bridge et conversations suivirent le repas; et, au regard de toute notre expérience égyptienne, nous n’avons jamais connu une soirée au cours de laquelle hospitalité et décontraction furent si délicieusement alliées. Et nous n’avons aucune hésitation à dire que si le Winter Palace Hotel continue dans sa lancée,il deviendra l’établissement de divertissement le plus populaire à travers l’Egypte (…) «
L’architecture du Winter Palace, un joyau édouardien
La construction de ce palace légendaire fut confiée à l’architecte Leon Stienon (également consul des Pays-Bas à Alexandrie) et à la compagnie italienne « Garozzo & fils ». Ils œuvrèrent pour le compte de la « Upper Egypt Hotels Company », créée en 1905 et détenue par l’hôtelier suisse Charles Bähler, en étroite collaboration avec Thomas Cook & Son.
Un style Édouardien sobre et élégant
Le Winter Palace est un extraordinaire exemple d’architecture édouardienne. Il se distingue par des couleurs claires et des lignes architecturales plus sobres et géométriques que les exubérances de l’ère victorienne, reflétant l’élégance de la Belle Époque.

Un intérieur moderne et luxueux pour l’époque
Le palace est organisé autour d’un hall principal spectaculaire, où un majestueux escalier en marbre de Carrare s’enroule autour d’un immense lustre. Le bâtiment est flanqué de deux ailes, dont l’étage inférieur était dédié aux services et à une galerie marchande (les magasins et studios Gaddis toujours présents aujourd’hui).

Pour en savoir plus sur les historiques galeries Gaddis, un incontournable de Louxor:
La façade, rythmée par des terrasses et des balcons, allie symétrie et retenue.

Les ferronneries et les décorations, quant à elles, apportent une touche de fantaisie clairement inspirée de l’Art Nouveau.

Le guide de voyage « Comment visiter l’Egypte » (1911-1912) ne tarit pas d’éloges : « Ses aménagements sont tout ce qu’il y a de plus moderne et de plus luxueux, lumière électrique et ascenseur ».
Un écrin de luxe pour voyageurs prestigieux
À son ouverture, le palace proposait 86 chambres et 6 suites, en plus de la prestigieuse suite royale. Cette dernière, qui accueillit les hôtes les plus illustres, occupait une place de choix : en façade, face au Nil, au niveau du balcon situé juste au-dessus de l’entrée principale.
Le style de l’hôtel, ce luxe feutré et intemporel, a été miraculeusement préservé malgré les rénovations, offrant aux visiteurs d’aujourd’hui une plongée authentique dans les fastes de l’avant-guerre et le parfum unique de la Belle Époque.
Le Winter Palace, l’hôtel des têtes couronnées et des célébrités
Dès son inauguration en 1907, le Winter Palace s’impose comme la retraite d’hiver incontournable de la famille royale égyptienne, de l’élite internationale et des figures les plus prestigieuses de la Belle Époque. Son livre d’or se lit comme un who’s who du XXème siècle.
Le roi Farouk, dernier roi d’Égypte, y séjournait régulièrement plusieurs semaines chaque hiver et y organisait des visites officielles d’État.

La chambre 327, appelée « King Farouk room« , contient encore le mobilier d’époque de la chambre des appartements du roi Farouk au Winter ( commode, coiffeuse, armoire et lit) , le tout de fabrication française.

La « fièvre Toutankhamon « qui s’emparera du monde après la découverte de Carter en 1922 va contribuer au rayonnement du Winter Palace.
Un livre d’or exceptionnel de la Belle Époque à nos jours
Les murs du Winter Palace pourraient raconter mille histoires, ayant accueilli un incroyable défilé de personnalités :
- Têtes couronnées : Albert Ier, roi des Belges, et la reine Elisabeth (1911, 1923, 1930), le Prince Charles et Lady Diana (à l’occasion de leur lune et miel et en 1992)
- Écrivains et artistes : Somerset Maugham, Rudyard Kipling (1929), le violoniste Jascha Heifetz (1927).
- Stars d’Hollywood : Douglas Fairbanks et Mary Pickford (1929).
- Hommes politiques : Sir Winston Churchill (1943), Henry Kissinger (1973).

(Le Soir Illustré du 8 mars 1930)
Cette tradition se perpétue aujourd’hui avec des hôtes comme la famille royale belge (2019), le prince héritier du Japon (2000), Nicolas Sarkozy (2007 et 2019), Condoleezza Rice, Kate Winslet ou Richard Gere.

Les hôtes les plus emblématiques : Carter, Carnarvon et Agatha Christie
Parmi tous ces noms illustres, Howard Carter, Lord Carnarvon et Agatha Christie restent sans doute les hôtes les plus emblématiques, incarnant l’esprit aventurier et mystérieux de l’âge d’or du Winter Palace. Leur histoire mérite un récit à part, que nous leur avons consacré.
Notons, clin d’œil de l’histoire, que « Mort sur le Nil« , épisode de la série télévisée « Hercule Poirot » menée par l’incroyable David Suchet fut partiellement tourné au Louxor Winter Palace.
La seule éclipse : l’hôpital militaire de la Grande Guerre
Depuis 1907, le palace n’a connu qu’une seule parenthèse dans sa vocation hôtelière. Pendant la Première Guerre mondiale, il fut temporairement fermé et converti en hospice pour soldats convalescents, témoin silencieux des soubresauts de l’histoire.
Aujourd’hui, le Winter Palace continue de briller accueillant toujours ceux qui cherchent à toucher du doigt les fastes de la Belle Époque.
La fièvre Toutankhamon : comment la découverte a propulsé le Winter Palace
La « fièvre Toutankhamon » qui s’empara du monde après la fameuse découverte de Howard Carter en 1922 contribua massivement à la renommée internationale de Louxor et de ses palaces. Le Winter Palace en fut l’épicentre, servant de quartier général au duo Carter-Carnarvon. C’est depuis ses salons que Carter avait l’habitude de communiquer sur l’avancement spectaculaire des fouilles, attirant une foule de journalistes, de savants et de curieux du monde entier.
Louxor et Le Winter Palace, épicentre médiatique d’un phénomène mondial
Le phénomène de société que constitua cette découverte fut immense et parfois accueilli avec sarcasme, comme en témoigne cet article de « La vie algérienne » en 1924, qui analyse avec cynisme la mécanique médiatique et touristique qui se mit en place :
(…)Ainsi assez récemment, en Egypte un fils tenace de la perfide Albion, feu Lord Carnavon, aidé de M. Howard Carter, remettait au jour la tombe enfouie depuis des siècles d’un Pharaon, désormais célèbre vedette de l’actualité : Toutankhamon.
Dans « La vie algérienne, tunisienne et marocaine », n°1, 5 octobre 1924 (source: BnF)
(…)Aussitôt s’organisait, à l’insu du Public gobeur et moutonnier, une réclame adroite savamment dosée. Chaque matin les journaux anglais publiaient, en manchette, la découverte sensationnelle (une par jour) : coffre, canne, tabouret, mannequin, gant même, avec, dans le texte explicatif, un luxe de descriptions, de poésie, d’évocations, incitant les moins curieux des « businessmen » à aller dans la Vallée des Rois; se rendre compte par eux-mêmes des merveilles qu’ils y pourraient voir exhumer !
(…) La légende naissait, croissait, se réalisait.
(…)Peu à peu la vague de surnaturel et d’incroyable presque déferla sur les pays européens après que les Américains, toujours à l’affût du sensationnel, eurent fait surenchère au splendide et à la superbe. des trésors impériaux.
La France alors. Paris enfin, s’émurent ; nos journaux nous tinrent plus souvent au courant des fouilles entreprises entre le Caire et Louqsor.
(…)Et le Public, poisson aux yeux aveugles, mordit en plein à l’appât lancé, bien lancé à la façon d’un roman de Pierre Benoist.
De tous les coins d’Angleterre et du monde (savant à peine, snob surtout) en avalanches déferlèrent vers les chemins de fer et les bateaux (…)
(…)Ces intrépides explorateurs avaient en plus à cœur : d’arriver les premiers, d’être là lorsque le sarcophage même du Roi si grand serait dévoilé à son tour.
(…)Et le but visé était atteint.
Les touristes harassés de fatigue (la réaction se produisant) étaient heureux de laisser s’écouler des heures délicieuses dans les hôtels (si bien indiqués, sur tous les plans, sur tous les « à vol d’oiseau » panoramiques) avoisinant la Vallée des Rois.
Il n’y avait que l’embarras du choix : Winter Palace Hôtel, Hôtel Karnak, Grand Hôtel Tewfikieh, Savoy Hôtel.
(…)A l’heure du thé, plus tard, à Paris, à Londres ou à New- York, la femme du roi du lard ou de la mélasse pourrait dire : « Oui ! ma chère, j’y étais en même temps qu’elles. ! J’ai vu le Roy. ! » Quelle gloire !
Ah ! les Anglais sont d’habiles gens.
Alors, subitement, les chaleurs furent intolérables en Egypte : les journaux du monde entier, en entrefilets dosés avec goût, l’annoncèrent. et le tombeau, source de profits présents et futurs, fut refermé : on le rouvrirait la saison suivante.
Quelques témoignages d’époque: entre enchantement et critique du tourisme de masse
René de la Bruyère, en 1923, décrit la vue depuis le Winter Palace:
C’est d’un sleeping de la Compagnie internationale des wagons-lits que je débarque un beau matin du mois de janvier au Winter Palace, dont les hautes terrasses surplombent « l’onde grasse » du fleuve. Du haut de ces terrasses, sur l’autre rivage du Nil, on aperçoit une plaine verdoyante d’où émergent les deux colosses de Memnon. Puis une masse fauve toute forée de trous noirs, où les habitants de la grande ville de Thèbes enterraient leurs morts.
Dans « Revue des deux mondes : recueil de la politique, de l’administration et des mœurs », 1924-03
Le Winter Palace ne fait pas l’unanimité. Pierre Loti, dans sa « lettre d’Egypte, Louxor modernisé » (le Figaro, 10/06/1908), en fait une critique acerbe :
« Ce qu’on aperçoit à des lieues, ce qui domine tout, ce qui détruit tout, c’est le Winter-Palace; un hâtif produit du modernisme qui a germé au bord du Nil depuis l’année dernière, un colossal hôtel, visiblement construit en toc, plâtre et torchis, sur carcasse de fer. Deux ou trois fois plus haut que l’admirable temple pharaonique, son impudente façade se dresse, badigeonnée d’un jaune sale. Et il suffit d’une telle chose, bien entendu, pour défigurer pitoyablement tous les entours la vieille petite ville arabe a beau être encore debout, avec ses maisonnettes blanches, son minaret et ses palmiers, le célèbre temple, la forêt des lourdes colonnes osiriennes, a beau se mirer comme autrefois dans les eaux de son fleuve, c’est fini de Louxor ».
source : Bnf

Il continue dans la même verve, très remonté contre le tourisme de masse :
» Pauvre Louxor. Tout le long des berges il y a une rangée de ces bateaux touristes, espèces de casernes à deux ou trois étages, qui de nos jours infestent le Nil depuis Le Caire jusqu’aux cataractes, et ils sifflent, et leurs dynamos font un intolérable vacarme trépidant. Où trouver pour ma dahabieh une place un peu silencieuse, que les fonctionnaires de l’agence Cook ne viennent pas me disputer? (…) Dans l’alignement pompeux du Winter Palace, des boutiques se succèdent. On y vend tout ce dont s’affublent les touristes: éventails, chasse-mouches, casques et lunettes bleues. Et, par milliers, les photographies des ruines (…)
Le long des étalages, cherchant l’ombre des maisons ou des rares palmiers, circulent des spécimens de la ploutocratie du monde entier: habillées par les mêmes couturiers, coiffées des mêmes plumets, ayant sur le nez les mêmes coups de soleil, les filles richissimes des marchands de Chicago coudoient les Altesses. Brochant sur le tout, de jeunes Bédouins effrontés proposent aux belles voyageuses leurs bourricots sellés pour dame. Et, chargés de jeter au milieu de cette Babel la note de grâce, des bataillons Cook de l’un et l’autre sexe, éternellement empressés, défilent à longues enjambées. »
source : Bnf

Francis Carco, dans « Egypte-Palace » (1933) se moque avec légèreté et humour de cette « aristocratie désœuvrée » qui hante les palaces égyptiens, de la superficialité de la société mondaine. C’est l’âge d’or des « oisifs du Caire », pour reprendre l’expression de Cocteau dans » Maalesh » (1949).

Le Winter Palace aujourd’hui : entre héritage historique et expérience accessible
Si vous désirez vous plonger dans cette atmosphère unique, fleurant bon les explorateurs et les folies de la Belle Époque, plusieurs options s’offrent à vous. Nul besoin de se ruiner pour profiter de la magie des lieux : vous pouvez vous y rendre, déambuler dans ses jardins centenaires ombragés de palmiers, ou vous installer sur sa terrasse face au Nil pour déguster un authentique « tea time » au coucher du soleil.


Le luxe d’un thé time raffiné sur les terrasses du Winter Palce en face du Nil
Pour ceux qui souhaitent vivre l’expérience plus intensément, il est possible de loger au Pavillon Winter Palace. Cette annexe située dans le même parc arboré propose des chambres au charme authentique et à un tarif bien plus démocratique, vous offrant un accès privilégié aux jardins, la piscine, l’ambiance et aux installations du palace.

Bien sûr, pour un budget plus conséquent, l’expérience culinaire ultime vous attend dans son excellent restaurant gastronomique « Le 1886 », aux accents résolument français. N’oubliez pas : pour y dîner, la « tenue correcte exigée » fait partie du rituel et du voyage dans le temps !
Prêts à explorer Louxor hors des sentiers battus ? Laissez-vous guider par nos excursions authentiques pour découvrir les secrets et l’histoire cachée de la région, bien au-delà des circuits traditionnels.
Sources
- ANDREW HUMPREYS, Grand hotels in the golden age of travel,
The American University in Cairo Press, Le Caire, 2015, 216 p. - ANONYME, Comment visiter l’Egypte 1910/1911, Hachette Lamplough A.O., 1911
- BRENDON PIERS, Thomas Cook, 150 years of popular tourism,
Martin Secker & Warburg Ltd, Londres, 1991, 372 p. - GAMBLIN SANDRINE , A tale of two cities: tourism and heritage management in Luxor , dans NICHOLAS HOPKINS et REEM SAAD, Social and economic process in upper Egypt, The American University in Cairo Press, Le Caire, 2004
- HAMBURSIN OLIVIER, Récits du dernier siècle des voyages, Presse Paris Sorbonne, Paris, 2005, 262 p.
- CARCO FRANCIS, Palace-Egypte, Albin Michel, Paris, 1933, 250 p.
- site « Egypt in the golden age au travel »
- https://gallica.bnf.fr/