La Mosquée Abou el-Haggag à Louxor : Histoire, Légendes et Architecture d’un trésor Culturel

9–13 minutes

Lors de votre visite au temple de Louxor, vous avez sûrement remarqué ce bâtiment anachronique qui domine la première cour, caractérisé par une porte donnant dans le vide. La mosquée Abou el-Haggag est en effet une curiosité visuelle captivante et unique en son genre, une bizarrerie aux yeux de certains, une hérésie pour d’autres.

D’ailleurs, dès Maspero, des voix se sont fait entendre pour la faire abattre à la grande fureur des locaux. Ces voix se feront entendre régulièrement au fil du temps.

Elle est, heureusement, aujourd’hui, considérée, au-delà de l’aspect cultuel, comme un témoignage important sur l’histoire post pharaonique et sur les différents usages et réemplois du temple au cours du temps.

La Mosquée Abou Haggag qui surplombe et flirte avec le temple de Louxor est l’une des plus anciennes mosquées de Haute-Egypte. Elle partage ce titre avec les mosquées Al-Amri à Qus et Al-Amri à Esna, qui toutefois la précèdent de plusieurs décennies.

  1. comment une mosquée médiévale s’est retrouvée au sommet de l’un des monuments anciens les plus reconnaissables d’Égypte ?
  2. Mais qui était le cheikh Abou-el-Haggag ?
    1. Mais qui est donc ce cheikh, érigé à la dignité de saint local pour les habitants de Louxor de confession musulmane ?
    2. La légende locale
    3. Paternité de la mosquée
    4. Décès et culte populaire
  3. Architecture de la mosquée
  4. Visiter la mosquée Abou el-Haggag
  5. Recommandations

Le temple de Louxor a su préserver son caractère exceptionnel bien après la chute des derniers pharaons. Même durant la période romaine où le temple fut dédié au culte de l’empereur romain et modifié pour fonctionner comme base militaire pour l’armée. Il a d’ailleurs fonctionné en tant que forteresse active sous les Romains jusqu’à la seconde moitié du VIe siècle.

Par la suite, de nombreuses églises ont été construites à l’intérieur des murs du temple, dont une basilique à l’intérieur de la cour de Ramsès II, à l’emplacement même où la mosquée Abou el-Haggag a été édifiée plus tard. Les travaux de restauration réalisés après l’incendie de 2007 ont permis de mettre en évidence et préserver les traces archéologiques de celle-ci.

Les traces de l’occupation chrétienne sont par ailleurs encore visibles à l’intérieur du temple.

traces de l'occupation chrétienne au sein du temple de louxor

En raison d’une documentation limitée, il n’est pas évident de cerner clairement quels changements et quelles évolutions le temple a connus depuis la fin de la domination romaine en Égypte jusqu’à l’avènement de la domination musulmane au VIIe siècle. Cependant, il semble, d’après des dessins et des photographies du XIXe siècle, que le temple ait été partiellement enseveli sous les débris accumulés d’une habitation continue, avec une mosquée visible au milieu des maisons remplissant la première cour du temple.

temple Louxor vers 1857
Temple de Louxor vers 1857
Photographie Francis Frith
source : https://jenikirbyhistory.getarchive.net/

c’est ainsi que s’explique la hauteur de la porte que l’on remarque à l’entrée du le temple. Cette porte fut condamnée après déblaiement du temple par Gaston Maspero.

la mosquée d’Abu el-Haggag incarne ainsi une tradition de culte ininterrompue au temple de Louxor depuis près de trente-cinq siècles.

C’est fascinant de voir comment ce monument a évolué à travers les âges, préservant son importance spirituelle et culturelle. 🕌🌟

La mosquée fut donc construite vers 1240 par le cheikh Abou-el-Haggag ou plus probablement par son fils, selon les sources.

Mais qui est donc ce cheikh, érigé à la dignité de saint local pour les habitants de Louxor de confession musulmane ?

De son nom complet, Youssef Ibn Abd el-Raheem, Cheikh Abou-el-Haggag serait né vers 1150 à Damas (ou Bagdad selon d’autres versions). Il serait un descendant de l’Imam Hussein, lui même fils de l’Imam Ali (cousin du Prophète) et de Fatima (fille du Prophète).
Il s’installa à Louxor à l’âge de 40 ans après avoir longtemps vécu à la Mecque. A Louxor qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort en 1242, il se dédiera au prêche et à l’accueil et l’accompagnement des pèlerins en route pour la Mecque. Ce qui lui vaudra ce surnom de Abou (« père » en arabe et expression locale servant à désigner un individu par une particularité physique ou morale qui le distingue) el-Haggag (les pèlerins en arabe).

La légende locale

La légende locale raconte qu’à son arrivée à Louxor, la ville était dirigée par une femme copte. Considéré comme étranger et donc attirant les soupçons, Youssef Ibn Abd el-Raheem aurait été amené devant l’autorité locale aux fins d’interrogatoire. Rassurant la dirigeante chrétienne, Youssef se contenta de demander la permission de résider et qu’on lui accorde un terrain dont la grandeur serait délimitée par une peau de chameau » pour pouvoir y dormir. La dirigeante (connue pour sa générosité et imaginant une surface de quelques mètres carrés tout au plus) accéda à sa demande. Un contrat écrit fut signé.
Le lendemain, sous les yeux de quelques témoins locaux, Youssef coupa une peau de chameau en très fines bandelettes qu’il utilisa pour border un très grand terrain sur les ruines du temple (à l’époque encore enseveli) et d’une ancienne église. Il s’agirait de l’emplacement de l’actuelle mosquée.
Impressionnée par l’audace et l’intelligence de Youssef, la dirigeante ne revint pas sur les termes du contrat signé et accepta de bon cœur le tour qui, en quelque sorte, lui avait été joué. On dit également qu’elle ne tarda pas à se convertir à l’Islam.

Paternité de la mosquée

La légende lui attribue donc la construction de la mosquée auquel son nom a été donné. Il est plutôt probable qu’il ait fait revivre ou redynamisé un lieu cultuel déjà existant, comme l’atteste la présence du minaret fatimide (précédant de près de 150 ans la venue du cheikh à Louxor).

Minaret fatimide

photo : Mariam

Ainsi, bien que cette paternité soit clairement sujette à caution au même titre que la première partie de l’histoire qui pourrait être une adjonction tardive, tout le monde s’accorde sur le fait qu’il a sauvé la mosquée de la destruction.

Pour des raisons peu claires, le pouvoir en place décida à un moment quelconque que la mosquée devait être abattue. Youssef désormais connu comme Cheikh Abou-el-Haggag se battit, sans succès, contre cette décision. L’officiel responsable restait intraitable. Il est dit qu’un matin, peu avant le jour prévu, l’officiel en question se réveilla paralysé, incapable de bouger. Il attribua son malheur « aux pouvoirs » d’Abou el-Haggag et revient sur sa décision. La mosquée était sauvée.

La légende locale lui attribue encore des miracles ou des guérisons miraculeuses.

Décès et culte populaire

A sa mort, sans doute âgé de plus de 90 ans, il avait rassemblé autour de lui, à Louxor, un grand nombre d’adeptes fidèles. Son corps aurait été placé, selon les versions, soit dans la mosquée qu’il avait bâti soit dans un mausolée situé sur le toit de l’ancienne église, qui à ce stade était enterrée sous le niveau du sol. C’est à cet endroit que la structure initiale de la mosquée actuelle aurait été érigée une décennie plus tard par son fils. Elle sera remaniée à de nombreuses reprises au cours des siècles.

Il fait toujours l’objet d’une forme de culte local populaire. D’autres mausolées ont été adjoint à celui d’Abou el-Haggag au cours du temps au cœur de la mosquée, mais ce dernier reste le plus visité.

Le pèlerin visitant le mausolée désire s’imprégner de la « baraka » du cheikh. Celui-ci est encore réputé guérir les malades, aider à lutter contre la stérilité, protéger les récoltes, de l’injustice …

Lors de la fête de ce « saint musulman » ou « mawlid », on peut voir à l’occasion du du festival populaire, des embarcations défilant dans les rues autour du temple, portées par des descendants de Abou el-Haggag. Les bateaux symbolisant son voyage vers l’Egypte. Mais une interprétation moderne de ce festival trace des parallèles avec l’ancien festival d’Opet comme un écho poignant à l’ancienne procession des barques d’Amon, de Mout et de Khonsou entre les temples de Karnak et de Louxor.

La mosquée telle que l’on peut la voir aujourd’hui, a été construite dans les années 1820 et le deuxième minaret en 1851-52. La mosquée d’Abou el-Haggag est le seul vestige de l’ancienne ville de Louxor qui a survécu aux fouilles archéologiques entreprises pour dégager le temple des années 1880 aux années 1950.

Second minaret

Photo : Mariam

La mosquée a survécu à ses détracteurs à travers le temps. Même Maspero n’a pu venir à bout de la vindicte populaire lorsque dans son désir de déblayer entièrement le temple de Louxor, il a tenté de négocier l’expropriation et le déplacement de la mosquée qui en occupe la partie nord-est.

« On a souvent prédit que si le transfert des reliques d’Abou el-Haggag et de ses compagnons avait lieu, la terre s’ouvrirait pour engloutir soit M. Maspero, soit tout autre fonctionnaire européen appartenant au Service des Antiquités ».

Georges Daressy, Notice explicative des ruines du temple de Louxor, Le Caire, 1893.

La mosquée est restée en place, et une nouvelle entrée, précédée d’une volée de marches, a été aménagée du côté est.

mosquée Abou Haggag Louxor

Entrée est, et place Abou el-Haggag, un lieu de rassemblement pour les égyptiens, le soir, le week-end où les jours de festivités.

Photo: Mariam

Les chapiteaux des colonnes, ainsi que les architraves portant le cartouche de Ramsès II, se retrouvent à l’intérieur même de la mosquée.

Une des anciennes colonnes égyptiennes a, en fait, été sculptée pour former le minbar (indiquant la direction de la Mecque)

C’est un monument sur lequel on s’attarde peu et que l’on ne visite quasi jamais. Elle est juste signalée par les guides, au titre de curiosité à l’occasion de la découverte du Temple de Louxor. Pourtant, ce monument, vaut bien la peine qu’on s’arrête quelques minutes pour comprendre pleinement sa signification particulière! Son évolution architecturale et culturelle reflète, bien sûr, l’histoire de l’Egypte, mais également et surtout la juxtaposition des influences culturelles auxquels sont soumis les Egyptiens aujourd’hui.

Tout comme le quartier « Complexe des Religions » au Caire (Mogama El Adyan à Fustat), où la mosquée d’Amr Ibn el-Aas, diverses églises, dont l’église suspendue, et la synagogue Ben Ezra mettent clairement en lumière l’héritage culturel de l’Égypte, cette zone spécifique représente ce qu’est l’Égypte aujourd’hui : un mélange d’ancien, de chrétien, d’islamique et de moderne.

Le pylône du temple, la mosquée « Abou el-Haggag », la mosquée moderne « Ahmed el-Nigm »et l’Eglise de l’archange Michaïl en arrière plan.

Je vous invite vivement à explorer ce monument. N’hésitez pas à en gravir les marches ! Vous y découvrirez une architecture absolument unique et, depuis les terrasses, une vue d’une beauté impressionnante et hors du commun sur le temple de Louxor. Allez-y une heure avant le coucher du soleil. La lumière enchantera les photographes !

Vue sur le temple depuis les hauteurs de la mosquée Abou el-Haggag

Photo : Mariam

  • L’entrée de la mosquée est naturellement gratuite, du moins en théorie. Lorsque vous arriverez (et soyez assuré que cela ne passera pas inaperçu!), l’un des gardiens viendra à votre rencontre pour vous offrir ses services de guide. Il s’attendra à recevoir une petite gratification en retour. Puisque cette gratification est censée être destinée aux moins fortunés, n’hésitez pas à insister pour la déposer dans l’une des boîtes prévues à cet effet (« sandouq » en arabe). En fin de visite, ne vous sentez pas obligés de partir rapidement, prenez plutôt votre temps et profitez des terrasses à votre convenance.
  • Il convient de respecter le code vestimentaire approprié pour la visite d’une mosquée en activité. Mesdames, veuillez porter un foulard pour couvrir vos cheveux, ainsi qu’une tenue sobre couvrant les jambes et les épaules. Messieurs, veuillez éviter les shorts et les débardeurs. La décence vestimentaire est essentielle pour cette visite, et votre respect sera apprécié même si vous attirez quelques regards curieux.
  • Enlevez vos chaussures dès l’entrée. Il y a un petit meuble de rangement surveillé par un jeune homme. N’hésitez pas à lui glisser un petit billet pour qu’il prenne soin de vos chaussures.
  • Vous avez la possibilité de visiter les lieux à tout moment. Si l’une des prières quotidiennes est en cours ou sur le point de commencer, veuillez juste patienter à l’extérieur jusqu’à ce qu’elle se termine. Evitez les visites le vendredi midi, jour de grande prière et de prêche.

N’hésitez pas à me faire part de votre expérience !

architecture arnaques art Assouan Belle époque budget conseils croisière culture déplacements Egypte pratique excursions femme gastronomie guide histoire histoire moderne Howard Carter islam Le Caire Louxor mosquée musulman musées nil pharaons Préparer son voyage religion restauration routard santé sites archéologiques sites et musées sécurité Thomas Cook tourisme Toutankhamon tradition transports voyage voyageur Winter Palace égypte ancienne égyptologie été