Si vous vous baladez au gré des rues de la ville ou des villages alentours, vous n’avez pu ne pas remarquer que nombreuses maisons sont décorées de signes convictionnels évidents et forts. Croix, représentation des saints ou de la Vierge pour les Chrétiens.
Versets du Coran, supplications (dou’as) calligraphiées ou encore fresques de commémoration du Hajj, pèlerinage sacré, chez les musulmans.
Nous nous intéresserons plus particulièrement à ces dernières aujourd’hui.
Pèlerinage à la Mecque
Le pèlerinage à La Mecque (Hajj) ,cinquième pilier de l’islam, consiste en l’obligation pour le croyant de faire au moins une fois dans sa vie, s’il en a les moyens, la possibilité, le voyage à la « maison de Dieu ». Il est souvent complété par une visite à Médine, la « ville du Prophète ». Après le mois de Ramadan qui célèbre la « descente » du Coran sur le Prophète, le grand pèlerinage est un autre temps fort de l’année musulmane.
Traditionnellement, c’est durant l’absence du pèlerin, que ces fresques sont réalisées sous la surveillance des autres membres de la famille.
Des compositions de textes calligraphiés et d’images sont peintes sur la façade, parfois jusque dans l’intérieur des habitations.
Un patrimoine menacé
Parfois passées et abîmées sur les plus anciennes demeures, parfois flamboyantes et un peu kitch, naïves ou particulièrement réalistes, toujours émouvantes, ces fresques font partie du paysage égyptien. On les retrouve également au Nord Soudan ou en Syrie. Elles représentent un magnifique témoignage historique, souvent menacé.
Symbolique des fresques
Toute une symbolique est rattachée à ces fresques, parfois évidente (représentations de la Mecque, du moyen de transport,…), parfois nettement moins car faisant référence à la tradition musulmane. J’espère vous aider dans cet article à mieux appréhender cet extraordinaire patrimoine.
Dans le registre calligraphique, on retrouve généralement des versets coraniques, des hadiths (paroles du Prophète), des supplications (dou’as), le nom du pèlerin (homme ou femme), précédé du fameux « Hagg(a) », son nouveau titre honorifique et la date d’accomplissement du pèlerinage (calendrier hégirien et grégorien).
Dans le registre graphique classique, des figurations plus ou moins stylisées ou réalistes de la Kaaba ou de la mosquée du Prophète à Médine ou encore des représentations des moyens de transport (et leur évolution).
Le pèlerin (homme ou femme) lui-même peut y est représenté, soit en train de prier soit en tenue d’ihram (tenue rituelle blanche des pèlerins), ou encore en train de voyager.
Outre la signification religieuse, ces peintures s’inscrivent dans l’univers social et économique de leurs commanditaires.
De manière caricaturale, on pourrait dire qu’il existe un style urbain, ou bourgeois, assez uniforme où le texte prédomine et les représentations graphiques sont limitées et très stylisées et maitrisées.
Le style rural (ou populaire) est nettement plus diversifié, coloré. Le côté graphique domine au détriment du texte et, aux images rituelles religieuses peuvent s’ajouter des éléments profanes, de la vie quotidienne, de fêtes populaires, des éléments patriotiques ou personnels ayant trait au statut, à la profession du commanditaire. Chaque région présente des spécificités propres.
La frontière entre les deux est parfois évidente, parfois poreuse.
Ces peintures, véritable patrimoine, sont intéressantes, donc, tant du point de vue historique et architectural que du point de vue de l’évolution des représentations collectives et sociales.
Quelques illustrations
Les photos ci-dessous et leur légende permettront d’illustrer le propos.
Style urbain et rural

Exemple extrême du style urbain où toute la place est laissée à la calligraphie.

Hadith (paroles rapportées du Prophète) pouvant se traduire par « le Pèlerinage bien accompli n’a d’autre rétribution que le Paradis ». Le mot « Hajj » est joliment mis en évidence et calligraphié. Style urbain.

Exemple typique de style urbain ou bourgeois ou la prépondérance est donnée aux écrits.
Tout en haut, un verset de la sourate « de la vache » (baqara) ayant trait au pèlerinage. Dessous le nom du Hagg et de son épouse. Juste entre le nom du hagg et la représentation de Médine, la date (calendrier hégirien et grégorien) du pèlerinage. Tout à fait à gauche, joliment calligraphié, un hadith sur le pélerinage bien fait et sa récompense céleste.

Typiquement dans le style rural où des représentations profanes côtoient les représentation religieuses. Ici les symbole du lion est un peu obscur mais généralement associé, chez les arabes à la force, au courage et à la combattivité.

Style rural.

Style rural où éléments profanes et religieux se mélangent.

Style rural
Le voyage du pèlerin

Avant que le voyage en avion ne devienne la norme, le voyage s’effectuait en dromadaire ou à cheval Des caravanes étaient organisées de tout le pays pour rejoindre la Mer Rouge et traverser. Un dromadaire particulier porteur d’une sorte de palanquin (mahmal) accompagnait la caravane Il symbolisait la puissance de l’Egypte. La présence du mahmal est attestée jusque 1926. Le pèlerin ici se fait représenter avec ce symbole fort quoique bien-sûr anachronique. Un enfant montre sa joie et symbolise les festivités accompagnant le passage de la caravane.
Ici style typiquement rural

les tous débuts du voyage en avion !
Fresque malheureusement aujourd’hui disparue

Avant l’avion, on rejoignait la Mecque en traversant simplement la Mer Rouge en bateau. Des convois nationaux étaient organisés vers la mer Rouge depuis toutes les provinces de l’Egypte, d’abord en dromadaire, plus tard en voiture ou en bus.

Ici, de manière réaliste, l’avion est représenté comme moyen de transport, même la compagnie aérienne y est représentée. Au dessus un hadith ayant trait à la bénédiction retombant sur celui qui visite la tombe du Prophète (Médine). En dessous, un rappel de prière sur le Prophète. le tout entouré de jolies fleurs et frises dans un style typiquement rural.

Avant que le voyage en avion ne devienne la norme, le voyage s’effectuait en dromadaire ou à cheval Des caravanes étaient organisées de tout le pays pour rejoindre la Mer Rouge et traverser. Un dromadaire particulier porteur d’une sorte de palanquin (mahmal) accompagnait la caravane Il symbolisait la puissance de l’Egypte. La présence du mahmal est attestée jusque 1926. Des festivités accompagnait la caravane. Style figuratif rural coloré.

Avant que le voyage en avion ne devienne la norme, le voyage s’effectuait en dromadaire ou à cheval Des caravanes étaient organisées de tout le pays pour rejoindre la Mer Rouge et traverser
La représentation du pèlerin

Le « Hagg » en tenue de Ihram (tenue traditionnelle blanche des pélerins ) et la « Hagga », son épouse. L’ihram n’est pas seulement un vêtement mais également un état symbolique que doit atteindre le croyant avant le pélerinage. Pour cela, l’homme doit se raser, se tailler ou se coiffer la barbe. Il faut également couper ses ongles et raser les poils de son corps. Ensuite, le pèlerin doit prendre un bain et faire ses grandes ablutions avec l’intention d’entrer en état en état de sacralisation. Le croyant est également prié d’avoir la volonté sincère de se repentir de ses péchés, qu’ils soient grands ou petits.
L’homme doit ensuite s’habiller du vêtement d’Ihrâm, se composant d’un tissu de couleur blanche.

le « Hagg » lisant le Coran.

une « hagga » levant les mains en signe de supplication (dou’a) accompagnée d’une supplication de protection.

un « hagg » en tenue d’irham, traditionnelle au pèlerinage, se protégeant en chemin du soleil saoudien.
La représentation des lieux sacrés

Représentation de la Mecque et la Kaaba.
Au-dessous, le début du « Talbya » (formule de reddition à Dieu) que l’on psalmodie en se rendant au Pélerinage et qui pourrait se traduire par » à Toi, je me rends, rien qu’à toi ». Phonétiquement : « Labbayka Alla humma Labbayk » .

représentation stylisée de Médine, la ville du Prophète. L’artiste a signé pas mal de maison à l’époque, on retrouve son style un peu partout à travers la ville de Louxor.

Très jolie et ancienne représentation de la Kaaba.

Médine stylisée dans un croissant.
Au dessus en légende « el masjdid nabawy » la mosquée du prophète. En dessous « el qoba el khadra », la coupole verte, symbolisant cette mosquée.

Outre les médaillons représentant les villes saintes, encadrés par une jolie frise de fleurs, les noms des 3 « haggas » ayant accompli le pèlerinage, la commanditaire de la fresque, sa sœur et sa tante.
Spécificités régionales

Représentation symbolique d’un évènement de la vie du Prophète: la caverne dans laquelle le Prophète se cacha avec Abu Baker lors de sa fuite de la Mecque vers Médine. Les 2 compagnons se cachent dans une caverne pour échapper à leurs poursuivants. Des oiseaux viennent construire leur nid dans l’entrée, tandis qu’une araignée vient y tisser sa toile. Leurs poursuivants trompés par ces signes, poursuivront leur chemin pensant la caverne intouchée. La représentation est assez rare sur Louxor, par contre quasi systématique à Esna.
Sources
Pour en savoir plus :
Frédérique FOGEL et Hugues FONTAINE, «Images du pèlerinage : représentations de l’Islam populaire», dans Jean-Claude VATIN (dir.), Images d’Egypte : de la fresque à la bande dessinée, CEDEJ – Égypte/Soudan, 1992, p. 271-284