Histoire Criminelle de l’Égypte ancienne: l’Ancien Empire

8–12 minutes

Plongée au cœur des complots, des assassinats et de la justice à l’époque des pyramides

Sous le règne des bâtisseurs de pyramides, l’Ancien Empire égyptien fut le théâtre de complots et d’intrigues palatiales d’une étonnante modernité. Loin de l’image d’une monarchie absolue et imperturbable, les pharaons eux-mêmes devaient faire face à des conspirations, souvent ourdies au plus près d’eux par des épouses, des courtisans ou leurs propres gardes.

Cet article plonge dans l’ombre de l’Ancien Empire pour explorer ces crimes oubliés. En s’appuyant sur les découvertes archéologiques et les papyrus judiciaires, il révèle comment des assassinats politiques ont failli bouleverser l’ordre établi, offrant un visage plus complexe et humain de la civilisation égyptienne antique, où l’ambition et la trahison rongeaient le cœur du pouvoir absolu.

"La vengeance de Nitocris" lithographie Paul Evelyn 1914 
La vengeance de Nitocris lithographie Paul Evelyn 1914 
  1. Plongée au cœur des complots, des assassinats et de la justice à l’époque des pyramides
  2. L’Assassinat de Téti : Première Conspiration contre un Pharaon de l’Ancien Empire
    1. Les sources historiques : le récit de Manéthon et ses détracteurs
    2. Les preuves archéologiques de la conspiration contre Téti
    3. Contexte troublé : l’accession au pouvoir et l’usurpation d’Ouserkarê
  3. Le Complot du Harem de Pépi Ier : Une Affaire d’État sous l’Ancien Empire
    1. Les mystères persistants de l’affaire : une reine sans nom
    2. Un règne troublé et l’affaiblissement du pouvoir pharaonique
  4. La Vengeance de Nitocris : Mythe ou Réalité de la Première Femme Pharaon ?
    1. Les récits légendaires : entre vengeance et tragédie
    2. L’absence de preuves archéologiques et les doutes des égyptologues
  5. L’Ombre derrière les Pyramides : l’Héritage Troubles de l’Ancien Empire
  6. Sources

Téti, premier roi de la VIe dynastie égyptienne (vers 2374 – 2140 av. J.-C.), est souvent considéré comme la première victime d’un assassinat politique majeur de l’histoire de l’Égypte ancienne, tué lors d’une conspiration du harem ourdie par ses propres gardes du corps.

tête de Teti 1er conservée au musée du Caire
Téti – musée du Caire

Les sources historiques : le récit de Manéthon et ses détracteurs

La principale source évoquant ce règne de Téti troublé provient des écrits de Manéthon, un historien égyptien de l’époque ptolémaïque. Ce dernier rapporte que le pharaon, qu’il nomme Othoès, fut victime d’un complot né au sein de son palais.

Si l’historien Nicolas Grimal s’appuie sur ce témoignage pour affirmer qu’il s’agit du premier régicide attesté, remettant en cause le dogme de la royauté divine dès la VIe dynastie, le silence des sources contemporaines égyptiennes laisse planer le doute. Cela est d’autant plus étonnant que certains de ces fonctionnaires ont servi sous le règne de Téti et sous celui de ses successeurs.

Les preuves archéologiques de la conspiration contre Téti

L’égyptologue Naguib Kanawati appuie la thèse de l’assassinat du pharaon Téti grâce à des preuves tangibles issues de ses fouilles archéologiques dans les nécropoles de l’époque.

Ses conclusions sont les suivantes :

  • Une augmentation extraordinaire du nombre de gardes sous son règne, indiquant un climat d’insécurité.
  • Des traces de damnatio memoriae (effacement des noms et titres) dans les tombes de hauts fonctionnaires comme le vizir Héri, le responsable des armes Méréri et le médecin en chef Seânkhuuiptah, potentiels conspirateurs.
  • Ces éléments corroborent l’hypothèse d’un complot de palais ayant conduit au meurtre du souverain.

Contexte troublé : l’accession au pouvoir et l’usurpation d’Ouserkarê

L’assassinat de Téti s’inscrit dans un contexte de fragilité dynastique. Son accession au trône est déjà problématique : il n’était pas le fils direct du pharaon Ounas, mais s’est imposé, peut-être par la force, comme en témoigne son nom d’Horus, « Celui qui pacifie les Deux-Terres ».

Selon le chercheur Winand, la fin tragique de Téti « pourrait signaler une origine non royale ou peut-être son appartenance à une branche non légitime de la famille »:

Son accession au trône est en effet problématique car il n’est pas le fils de son prédécesseur Ounas, quoi qu’il ait des liens avec ce dernier par son mariage avec la princesse royale Ipout. Aussi ne sait-on par quels moyens il a accédé à la charge royale. Des troubles ont peut-être éclaté lors de son accession. Son nom d’Horus   « Celui qui pacifie les Deux-Terres » indique sans doute qu’il a dû conduire des opérations militaires de pacification.

Après sa mort, le pharaon Ouserkarê lui succède brièvement. Absent chez Manéthon mais cité dans le Canon royal de Turin et la Liste d’Abydos, il est souvent perçu comme un usurpateur au lien familial incertain (demi-frère de Téti ?)

La conspiration contre Téti ne mit pas fin aux troubles. Son fils et héritier légitime, Pépi Ier, lui succéda finalement… pour se retrouver à son tour confronté à un complot ourdi par une de ses épouses, preuve que les intrigues de palais continuaient de menacer la stabilité de l’Ancien Empire égyptien.

Sous le long règne de Pépi Ier, un autre épisode crucial vint ébranler la monarchie : « l’affaire du Harem ». Il s’agit d’une conspiration de harem bien documentée, ourdie par l’une des reines du pharaon, probablement dans le but de placer son fils sur le trône.

Cette affaire illustre les intrigues de palais qui minaient la cour royale de la VIe dynastie égyptienne.

L’enquête d’Ouni : un récit exceptionnel gravé dans la pierre

L’histoire de ce complot sous Pépi Ier nous est principalement connue grâce à l’autobiographie d’Ouni, un haut fonctionnaire que le pharaon chargea personnellement de mener une enquête discrète.

Cette mission, qu’Ouni considère comme une preuve de la faveur et de la confiance royales, est gravée sur un bloc de calcaire issu de son mastaba.

Son récit, conservé au Musée du Caire, est exceptionnel :


« Quand il y eut un procès secret dans le harem royal contre l’épouse royale, la grande d’affection, Sa Majesté m’en a fait l’auditeur unique. Aucun vizir, aucun fonctionnaire n’était présent ; il n’y avait que moi, parce que j’étais excellent, j’étais enraciné dans son cœur, et son cœur était rempli de moi. Moi seul, avec un autre juge (…), mis cela par écrit (…) jamais auparavant quelqu’un dans ma position n’avait pris connaissance des secrets du harem royal. » (Urk. I, 100,13-101,4 – trad. Winand.)
autobiographie de Ouni conservée au musée du Caire relatant l'un des principaux complots criminels ourdis contre Pépi 1er à l'Ancien Empire

Les mystères persistants de l’affaire : une reine sans nom

Malheureusement, le récit s’arrête avant la sentence finale. Bien que l’autobiographie d’Ouni se poursuive, les détails du procès restent inconnus : la nature exacte des faits reprochés à la reine et la peine qui lui fut infligée demeurent un mystère.

L’identité de la conspiratrice est elle-même perdue. Ouni ne la désigne que par son titre protocolaire, Ouret Hetes (« Grande Dame au sceptre » ou « épouse royale »), un choix qui pourrait viser à préserver la dignité royale ou à éviter de graver le nom d’une traîtresse pour l’éternité. Elle reste l’une des huit ou neuf épouses de Pépi Ier dont l’ambition a failli renverser le pouvoir.

Un règne troublé et l’affaiblissement du pouvoir pharaonique

Le long règne de Pépi Ier (environ 40 ans) fut marqué par une instabilité chronique. Au-delà de la conspiration du harem, le pharaon dut faire face à de nombreuses révoltes et à la montée en puissance des nomarques (gouverneurs de province), auxquels il concéda une part croissante de son autorité.

Comme le souligne l’égyptologue Winand, la nature même de cette affaire est révélatrice :

 « (…) ce qui frappe plutôt l’observateur moderne, c’est le fait même qu’il soit possible d’évoquer – et par écrit, encore – une affaire qui ne pouvait que trahir un affaiblissement du pouvoir. Pareilles intrigues ne devaient pas être rares à la cour, mais il aurait été impensable de leur donner une telle publicité lors des dynasties précédentes. »

Ce contexte de fragilité culminera à la fin de la VIe dynastie, après la mort de Pépi II, où les crises de succession et l’effritement de l’autorité centrale serviront de cadre au règne tragique de la reine Nitocris, première femme pharaon de l’histoire.

La figure de la reine Nitocris est entourée de mystère. Considérée par la tradition comme la première femme pharaon de l’histoire, son règne tragique est souvent lié, de manière arbitraire, à la chute de l’Ancien Empire. Son existence historique elle-même fait aujourd’hui débat parmi les égyptologues.

Les récits légendaires : entre vengeance et tragédie

Les sources principales sur Nitocris proviennent d’historiens antiques dont les récits, teintés de légende, divergent.

  • Le récit de Manéthon la décrit de manière fantaisiste : « Une certaine Nitokris régna, la plus énergique des hommes et la plus belle des femmes de son temps, blonde aux joues roses. On dit que la troisième pyramide a été construite par cette dernière… »
  • Le récit d’Hérodote  est plus dramatique. L’historien grec raconte qu’après l’assassinat de son frère (peut-être le pharaon Mérenrê II), Nitocris monta sur le trône pour le venger. Elle piégea les conspirateurs en les noyant lors d’un banquet dans une salle secrètement inondée par le Nil, avant de se jeter dans un brasier pour échapper à la vengeance du peuple.

L’absence de preuves archéologiques et les doutes des égyptologues

Aucune source archéologique contemporaine ne vient confirmer avec certitude l’existence de Nitocris ou cet épisode violent. Son nom n’apparaît que dans des listes royales plus tardives et des récits d’historiens antiques.

Gravure représentant le Reine Nitocris, (selon la description de Manéthon) considérée comme la première femme Pharaon de l'histoire, qui vengea son frère assassiné en tuant l'ensemble des conjurés.
 Nitocris selon Manéthon – gravure auteur inconnu – 1881 

En l’état actuel des connaissances, il est impossible de distinguer le fait avéré de l’anecdote pseudo-historique. Les égyptologues s’interrogent sur tout : son accession au trône, ses liens de parenté avec Mérenrê II, et même son existence, remise en cause par une relecture critique du Papyrus de Turin. Longtemps tenue pour acquise, la réalité historique de la reine Nitocris est aujourd’hui largement considérée avec une extrême prudence.

Notre voyage dans les couloirs obscurs du pouvoir pharaonique touche à sa fin. De l’assassinat suspecté de Téti à la conspiration du harem de Pépi Ier, en passant par le mystère ensorcelant de la reine Nitocris, une vérité émerge : l’Ancien Empire, souvent perçu comme un âge d’or de stabilité immuable, était en réalité le théâtre d’intrigues palatiales, de luttes de pouvoir et de violences politiques d’une étonnante modernité.

Ces récits de trahisons et de complots ne sont pas de simples anecdotes. Ils révèlent les failles humaines derrière la façade divine de la monarchie égyptienne et nous rappellent que la soif de pouvoir est une constante de l’histoire, capable d’ébranler les empires les plus solides en apparence.

Votre soif d’histoire criminelle est assouvie ?

Cet article n’est que la première pierre d’une série de cold cases vieilles de plusieurs millénaires. La suite des enquêtes aux sources du Nil vous réservera bien d’autres révélations :

  • L’assassinat d’Aménemhat Ier et son testament politique glaçant.
  • Le complot du Harem sous Ramsès III, une affaire judiciaire extraordinaire révélée par les papyrus.
  • L’assassinat du prince hittite Zannanza, une affaire internationale qui faillit déclencher une guerre.
  • Et bien d’autres secrets enfouis sous les sables…

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  • Caroline Hubschmann, « Naguib Kanawati, Conspiracies in the Egyptian Palace: Unis to Pepy I », Monash University, Melbourne,‎ 2011
  • Winand, j., Une histoire personnelle des pharaons, Paris : Presses Universitaires de France, 2017
  • Sydney H. Aufrère, Pharaon foudroyé : Du mythe à l’histoire, Gérardmer, Pages du Monde, 2010
  • Hérodote (trad. Larcher), Histoires, t. 2, Paris, Charpentier. Libraire – éditeur, 1850
  • Manéthon (trad. William Gillan Waddell), Manetho with an english translation, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 1940 (réimpr. 1964)

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